« Vivre une vie cultivée et
sans passion, au souffle capricieux des idées, en lisant, en rêvant, en
songeant à écrire, une vie suffisamment lente pour être toujours au
bord de l'ennui, suffisamment réfléchie pour n'y tomber jamais. Vivre
cette vie loin des émotions et des pensées, avec seulement l'idée des
émotions, et l'émotion des idées. Stagner au soleil en se teignant d'or,
comme un lac obscur bordé de fleurs. Avoir, dans l'ombre, cette
noblesse de l'individualisme qui consiste à ne rien réclamer, jamais, de
la vie. Être dans le tournoiement des mondes, comme une poussière de
fleurs, qu'un vent inconnu soulève dans le jour finissant, et que le
torpeur du crépuscule laisse retomber au hasard, indistincte au milieu
de formes plus vastes. Être cela de connaissance sûre, sans gaieté ni
tristesse, mais reconnaissant au soleil de son éclat, et aux étoiles de
leur éloignement. En dehors de cela, ne rien être, ne rien avoir, ne
rien vouloir...
Musique
de mendiant affamé, chanson d'aveugle, objet laissé par un voyageur
inconnu, traces dans le désert de quelque chameau avançant, sans charge
et sans but...»
Fernando Pessoa.
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